Aria, le magazine d’Air Corsica, a consacré au Cap Corse son numéro de mai 2015. A côté d’un portfolio du photographe Stéphane Guiraud et d’une interview du plasticien Ange Leccia, le journaliste Toussaint Olmeta y présentait le Cap Corse comme « un surdoué en paysages ». Voici l’essentiel de son texte :
Qui a dit que le Cap Corse était « l’île de l’île » ? Un génial publicitaire, sans doute. Mais est-ce vraiment exact ? De l’île, le Cap en est, au contraire, un avant poste, un avant goût, une excroissance singulière qui tire vers le nord le corps primitif insulaire. Le Cap ne fait pas sécession, il est porte d’entrée spectaculaire. Il offre mer et montagne, plages et sommets, vallées et précipices sur un territoire de 300 km². Il est condensé et quintessence. Mais qui le sait vraiment ?
C’est la première caractéristique du Cap : petit mais riche en tout. C’est un surdoué en paysages, un cumulard en originalités. Nature, géologie, faune, flore, richesses de la mer, patrimoine civil, militaire et religieux, architecture traditionnelle : il est un florilège, un kaléidoscope de diversités.Comme le reste de l’île, son territoire est modelé en vallées. Mais celles-ci s’ordonnent en arêtes de poisson, dominées par une épine dorsale –le massif de la Serra- qui culmine à 1322 m (Cima di e Follicce). Cette première réalité physique du Cap conditionne tout le reste.
Le Cap est fait de ces réalités là. Elles ont marqué le paysage : plusieurs époques s’y conjuguent.
Prenez les tours du littoral élevées au XVIe siècle pour lutter contre les invasions barbaresques. Des trente sentinelles de schiste construites le long des 92 km de côtes, il n’en reste plus que quinze debout. De Miomu à Negru (Olmeta di Capicorso) en passant par Losse (Cagnano), Tollare (Ersa), elles sont le véritable emblème du Cap Corse (…). Depuis 2002, ces tours sont la propriété de la Collectivité Territoriale de Corse (CTC). Cinq sont classées monuments historiques : Erbalonga, Santa Maria della Chiapella, Albu, Nonza et Negru.
On parlera aussi de ces « demeures des morts » qui étonnent tellement les visiteurs qui découvrent le Cap par la route. Construites par les familles de notables, ces bâtiments imposants combinent tombeaux et autel ce qui en fait de véritables chapelles funéraires. L’intérieur est orné de sculptures, de tableaux, de bougeoirs, d’objets précieux. L’extérieur peut être luxueux avec murs d’enceinte, portails, escaliers et jardins aménagés avec palmiers ou cyprès. Les plus beaux édifices sont à Sisco (hameau de Barrigione), Cagnano, mais c’est à Barrettali aux hameaux de Minerviu et Conchigliu que les familles ont rivalisé dans la grandeur, mais aussi dans le choix des lieux, face à la mer. L’importance de celle-ci est particulièrement marquée à Pino où un tombeau a la forme d’une embarcation surmontée d’ancres sculptées. Ces constructions rappellent celles des grandes lignées florentines ou romaines. Les familles insulaires viennent s’y recueillir au moins une fois par an, à la Toussaint.
Décoder, comprendre le paysage bâti du Cap c’est encore repérer, dans chaque commune, à côté des églises paroissiales, la présence, quasiment dans chaque hameau, d’une chapelle votive. Leur nombre est estimé à 150. Pour ceux qui souhaitent découvrir plus finement les particularités architecturales du Cap, on les invitera à flâner dans certains hameaux remarquables et tout à fait typiques de l’habitat traditionnel : Teghje à Sisco, l’Ornetu à Pietracorbara, Spergane à Luri, Cucincu à Ersa, Cannelle à Centuri ou Petricaghju à Barrettali en sont des exemples intéressants.
Cet habitat est écologique avant la lettre. Il se nourrit de matériaux disponibles sur place : pierres, lauzes, châtaigniers pour les poutres et pour les charpentes. La chaux est préparée dans des fours proches des hameaux. Le cipolin, un marbre local, est taillé à la demande. On en fait des seuils et des appuis de fenêtre. Ces matériaux servent à élever des bâtisses d’importance différentes : e case (les maisons), e casone (les grandes maisons), e casette (les maisonnettes liées à l’agriculture). Ces dernières sont situées à la périphérie des hameaux. Les deux autres, par des imbrications de volumes, composent le hameau lui-même. L’harmonie de l’ensemble bâti naît à la fois de l’unité des matériaux utilisés (la pierre de schiste), mais aussi des toits de lauzes à deux pentes, des ouvertures étroites et longues.
La casa et le paesolu sont la « double matrice architecturale » de l’habitat traditionnel du Cap. Tant il est vrai aussi qu’il existe un lien « quasiment ombilical qui relie chaque insulaire à une maison et à une seule », comme l’a écrit l’ethnologue Georges Ravis-Giordani.
Si le territoire est ainsi peuplé de repères des époques successives plutôt bien conservés ou restaurés, il n’en reste pas moins que le Cap est d’abord un lieu de nature. Ce qui frappe de prime abord, vue de la mer ou des airs, c’est cette immense toison qui recouvre les collines et s’approche des sommets. C’est le maquis, a macchja. Il est partout chez lui en Corse. Dans le Cap, les zones naturelles et forestières couvrent 93 % du territoire. C’est dire aussi que, malgré un mitage ponctuel qui existe dans certaines plaines de la côte est, la péninsule reste très abondamment arborée. Trop, sans doute, par rapport au développement agricole qui ne représente, lui, que 3% du total des surfaces. Après des décennies d’incendies à répétition, souvent d’origine criminelle, le Cap connaît une situation plus apaisée. Le recul de l’élevage a été sinon stoppé du moins jugulé. L’agriculture – à travers la viticulture (près de 50 hectares en production), les plantations de cédrats et une relance de l’oléiculture – bénéficie d’un renouveau mesuré mais réel. Cet ensemble de biodiversité est surtout marqué par l’immense réservoir des essences du maquis. Aux habituels arbousiers, cistes, romarin, bruyères et myrtes, il faut ajouter 21 plantes remarquables parmi lesquelles des espèces endémiques comme la morisie à fruits enfouis (floraison de mars à mai que l’on trouve exclusivement sur les crêtes du Cap et sur le plateau de Bonifacio), la cardamine de Plumier (floraison d’avril à août en fonction de l’altitude) ou la violette corse (floraison de mars à juin) présente dans les serpentines et les schistes.
Pour découvrir ces plantes endémiques, le chemin des crêtes s’impose. Long de 48 kilomètres il suit, pour l’essentiel, la ligne des crêtes du Cap Corse et va de Bastia à Centuri. Un autre parcours permet aussi de découvrir cette nature des hauteurs (entre 700 et 1300 m), c’est le Chemin de Lumière qui part de Pietracorbara et arrive à Barrettali. Long de douze kilomètres, il traverse le Cap d’est en ouest, passe au pied du Monte Alticcione (1130 m). Il permet, le même jour, de voir le soleil se lever et se coucher sur la mer.
Nature prégnante, puissante, envahissante : certaines communes portent, d’ailleurs, le nom d’arbres comme Ogliastru qui signifie olivier sauvage ou Pinu pour le pin. Les noms de nombreux hameaux font aussi référence à une végétation particulière. Ornetu vient d’orne, un frêne à fleurs (Pietracorbara) ; Liccetu fait référence au chêne (Luri). Le chêne qui dans le Cap est l’essence dominante. Chênes liège à Luri, chênes blancs à Olcani ou chênes verts que l’on retrouve partout. Ils peuvent former de véritables forêts de plusieurs dizaines d’hectares comme à Ersa.
Le Cap Corse parcouru d’abord par ses vallées et ses sommets : l’approche surprendra le visiteur pressé. Mais elle donne à voir l’essentiel : ce territoire est d’abord une montagne dans la mer.
La mer précisément. Il est temps de redescendre au bord de l’eau pour découvrir ce que vous ne trouverez nulle part ailleurs en Corse : les marines. Elles sont des hameaux marins, avec des simples escales à bateaux où l’on tirait les barques sur la grève comme Tollare (Ersa) et ses magazini –entrepôts- sous les maisons des pêcheurs, Mute (Morsiglia), Scalu (Pino), Negru (Olmeta-di-Capocorso). A l’exception d’Olcani, les dix-sept autres communes ont un débouché sur la mer. 0n recense dix-neuf marines et sept ports. Ceux-ci accueillent, à la fois, des barques de pêche (Porticciolu) et des bateaux de plaisance : Erbalonga, Santa Severa, Macinaghju, Barcaghju d’Ersa, Centuri (premier port français pour la pêche à la langouste) et Giottani. En moins d’un demi-siècle, la pêche a reculé, tandis que la plaisance s’est puissamment développée : à preuve, dans les sept ports, les pêcheurs se partagent 22 places à quai tandis que 905 places sont réservées aux plaisanciers avec une mention particulière pour Macinaghju qui dispose de 570 anneaux (…).
Quant aux plages, on peut dire, sans se tromper, que l’on se baigne, par beau temps, partout dans le Cap. Quand le vent se lève et que la houle pousse ses rouleaux, certaines plages deviennent dangereuses. C’est le cas d’Alisu (Morsiglia). Mais, quand la météo est clémente, le vacancier aventureux, voire téméraire, profitera de la petite crique découverte au bout d’un chemin tortueux et forcément pentu qu’il disputera aux plaisanciers. Avec 92 km de côtes, le Cap offre un éventail de lieux secrets et délicieux, mais pour ceux qui préfèrent le sable fin et la couleur turquoise des lagons insulaires, on conseillera trois plages. Pietracorbara, d’abord, la plage des Bastiais et des touristes : familiale avec activités nautiques pour les petits et les grands, c’est une valeur sûre et proche de la ville (à 22 km de Bastia). Barcaghju à Ersa ensuite : sable blanc et mer bleu turquoise se mêlent. Les jours sans vent, le lieu est paradisiaque. On s’y croit au bout du monde. Nonza, enfin avec son sable noir : il est formé des résidus d’amiante (totalement inoffensifs) rejetés par l’ancienne mine fermée en 1965. L’endroit est original, surtout vu de haut : des mots immenses y sont écrits en galets blancs. Ces « hiéroglyphes éphémères », dont parle la poétesse Angèle Paoli, sont une curiosité.
A noter que, sur les plages du Cap Corse, en hiver, il n’est pas rare de voir s’accumuler des posidonies (plantes à fleurs) mortes et détachées des prairies sous-marines. Ces dépôts sont le signe d’une bonne qualité de l’eau et protègent le littoral d’une érosion prématurée. Avant l’été, les communes s’efforcent d’évacuer ces « occupants » temporaires pour faire toute leur place aux estivants.
Pour les amateurs de surf le Cap offre de nombreux spots, côte est (Sisco et Santa-Severa) et côte ouest (Alisu et Giottani). Les vagues de Méditerranée sont courtes et déferlent volontiers en « droites ». Les longues planches sont recommandées.
Mais la mer peut aussi être approchée et appréciée depuis la terre. Le sentier du littoral, appelé aussi « sentier des douaniers », a été aménagé à partir 1993 par le Conservatoire du littoral (propriétaire de 670 hectares à la pointe du Cap). Il démarre du port de Macinaghju et atteint le port de Centuri après 26 km et 8h de marche. Il avance entre mer, criques, plages et collines. On y admire une faune et une flore protégées, des tours génoises (Finocchiarola, Santa Maria et Agnello), des roches exceptionnelles comme la péridotite (roche du manteau terrestre). Elle affleure non loin du Monte Maggiore (Ersa). Le sentier est l’un des « must » touristiques du Cap Corse. Il est emprunté annuellement par 40 000 personnes. Et c’est une très salutaire initiation au territoire. Songez-y si vous faites la balade : sur ces lieux désormais sauvegardés, devait pousser une marina et son complexe touristique de 7000 lits (…).
Toussaint Olmeta