De Jean-Jacques Rousseau, on connaît, en Corse, le projet de constitution pour l’île (1765). Il s’agit plus d’un Plan de Gouvernement ainsi que le nomme lui-même le philosophe des Lumières, que d’un ensemble d’articles formant loi fondamentale. Il est un texte de l’auteur du Contrat Social qui trouve, dans le Cap et dans toute la Corse, une parfaite illustration, c’est le Discours sur l’inégalité (1754). Rousseau y exprime son aversion pour la propriété privée, source, selon lui, de tous les maux. Et il ajoute : «… vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne. »
Dans un pays frappé par une indivision séculaire, le propos du philosophe ne manque pas de sel. Mais il y a mieux : nos villages donnent raison à Rousseau. Et Jean-Jacques pourrait, s’il était en Corse, se régaler de fruits offerts à tous, car ils peuvent être cueillis, soit dans l’espace public, soit dans ces espaces abandonnés qui abondent dans les vallées du Cap.

À l’entrée du hameau de Spergane, à Luri, sur le bord de la route, un câprier hirsute accueille les visiteurs. Dès juillet, il offre ses bourgeons délicieux. À Pietracorbara, au hameau de Cortina, c’est un cerisier qui fait de l’ombre à une fontaine. Il tend ses branches chargées de fruits écarlates. Sur le Chemin de Lumière, dès septembre, un sorbier régale de ses sorbes les randonneurs. Dans plusieurs vallées, des châtaigniers abandonnés lâchent leurs châtaignes au milieu des fougères. Mais l’arbre dont les fruits sont à tous est, sans conteste, le figuier. À Rogliano comme à Brando, à Meria comme à Ogliastro, il offre sa production sucrée mais dédaignée, sauf par les sangliers et les vaches errantes qui se risquent près des hameaux. Les figues, certes, mais aussi celles de Barbarie qui, par crainte des piquants, se cueillent à la fourchette et au couteau. Enfin, les mures, les myrtes et les arbouses sont aussi des fruits pour tous que le maquis généreux distribue sans compter. Le Cap, jardin de Jean-Jacques, utopie d’une économie de cueillette ? Un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout !