Que diable vient faire le style baroque dans le Cap Corse ? C’est le style roman, tout en sobre retenue, qui sied le mieux aux paysages des vallées. Avec le roman, les formes sont simples et pures, l’appareillage des pierres, finement taillées et jointées, monochromes ou bichromes, s’intègre parfaitement aux hameaux de schiste.
Au lieu de quoi, le Cap est le triomphe du baroque ! Sur ces terres de dure réalité, voilà qu’explose, dès le XVIIe siècle, porté par la Contre-Réforme catholique, un feu d’artifice de matières, de couleurs et de lumière. C’est l’audace qui prend par la main sa sœur, l’exubérance. Elles ourdissent, toutes deux, un plan d’enfer : surprendre, émouvoir, faire chavirer les cœurs, convertir les âmes pour entrevoir le paradis. Mouvement des formes, effets théâtraux, colonnes tordantes des autels, volutes, spirales, rocaille, cartouches et trompe-l’œil : sous les voûtes sacrées des églises baroques, se trouve déjà un peu le paradis.
Courez voir l’église San Ciprianu à Morsiglia, celle de Santa Maria Assunta à Pino, de San Nicolau à Tomino, de San Pantaleone à Barrettali et de Sant’Andrea à Olcani. Audace et vertiges des formes, geste architectural inouï pour l’époque. On assiste, avec l’installation, dans le paysage, de ces édifices si étonnants, à une révolution du regard. Ce mouvement qui déplace les lignes est un contre-point sidérant à l’ordinaire de l’architecture vernaculaire des case, casette et casoni (maisons, petites et grandes maisons).
Le baroque appelle à se dépasser et à se déplacer. Il est une invitation au voyage, en Europe et aux Amériques. Des destinations qui seront, un peu plus tard, celles de hardis Capcorsins.